UBU A LA RUE

UBU À LA RUE
Alfred Jarry
Création 2002
Mise en scène et scénographie : Michel Mathieu
Musique (live) : Michel Doneda
Distribution
Naïma Ben Kerza
Christian Duval
Cara Friedrich
Pascale Karamazov
Anna Koltek
Alex Moreù
Pierrot Nauche
Joëlle Pressnitzer
Jacques Reynal
Vincent Rodier
Bénédicte Rossignol
Quentin Siesling
Ingrid Wessler
Conception des machines : Pierre Dequivre
Costumes : Nathalie Guillot
Tout public
1h30
A propos du spectacle
Au carrefour
On sait ce que Jarry doit à Rabelais, comme façonneur du verbe, comme perturbateur radical des champs bien ordonnés de l’esprit. Après deux adaptations successives de Gargantua et Pantagruel, produites à Saint-Sulpice-sur-Lèze et à Saint-Ybars dans le cadre de la « Rabelèze », nous avons eu envie d’honorer ce singulier héritier et sa mythique créature : Ubu, laquelle à l’instar des figures – devenues légendaires – de la geste rabelaisienne, a imposé sa gidouille au premier plan d’un panthéon mythique moderne à côté de Frankenstein, Tintin, ou autre Dracula…
Circulation
Certes, les interprétations du personnage et de son œuvre la plus connue : Ubu roi, tirent la vénérable personne dans tous les sens ; on l’a vu transformé en agrume par le Nada Théâtre, habillé en petit bourgeois dans une approche réaliste.
Il a pu ressusciter en une sorte d’anarchiste libérateur chez Sobel, quand il ne sert pas à dénoncer toutes les aventures totalitaires, tantôt figurées par un acteur au sang chaud, tantôt sous forme d’un pantin de bois… sans parler de l’usage de son nom qui va caractériser aussi bien l’absurdité que la férocité arbitraire – ce qui n’est pas antinomique…
Il faut néanmoins se souvenir qu’à l’origine, cette œuvre collective de potaches rennais, puisque Jarry encore au Lycée s’associa avec deux condisciples, les frères Morin, pour écrire et représenter la première mouture : Les Polonais – fut jouée par des marionnettes, et cela n’est pas innocent.
A rebours
En effet, par rapport à son époque qui voit le triomphe du réalisme d’un côté (Théâtre-Antoine), du symbolisme de l’autre, le choix initial de ce médium est lourd de signification.
Quand Jarry reprendra le texte, qu’il développera dans la forme définitive au Théâtre de l’Œuvre, il en fera une machine de guerre contre le théâtre de son temps, non seulement par la langue, les situations et l’absurdité réjouissante et destructrice du dialogue, mais aussi par les formes du jeu et du décor qu’il va initier, au grand scandale d’une partie importante du public : usage de mannequins pour figurer les nobles, de masques pour les acteurs, et la musique de Claude Terrasse avec sa chanson du décervelage qui clôt la pièce… On voit qu’on est plus proche des pantins originels que des personnages de Sardou, de Becque ou dans un autre sens des créatures idéales de Maeterlinck.
La farce
1 – Hachis d’aliments (viandes ou autres) servant à farcir.
2 – Petit intermède comique introduit dans une pièce sérieuse. Petit Robert En fait, nous voulons avec Ubu mettre la farce dans la farce, ou plutôt traiter le 2 (l’intermède comique) sur le mode du 1 (hachis d’aliments). Nous refusons à une lecture unique de la pièce et du personnage titre ; il n’y aura pas ici de lecture linéaire ; notre Ubu est aussi bien le dictateur de référence pour tous ses épigones, que l’enfant bloqué au stade anal, l’anarchiste total (sauf l’éthique) qui ne connaît que ses pulsions, que l’histrion qui se joue de toutes les situations.
De la même façon la pièce tourne tour à tour à la bouffonnerie, au drame, à la satyre sociale… quitte à intégrer au passage des références à notre propre actualité… réactualisation qu’effectuait Jarry lui-même.
Déviation et raccourci
S’il est aujourd’hui une autre esthétique théâtrale qui ne supporte pas les subtilités psychologiques, c’est le théâtre de rue ; ici tout doit être signe, efficacité – même onirique –, rapidité. Porté vers l’extériorisation le geste urbain doit être direct et tranché, aller à l’essentiel… D’une certaine manière, paradoxalement la rue peut être imaginée comme une extension du castelet, sauf que si le castelet est forcément fixe, la rue est, elle, forcément mobile… Or dans Ubu ça bouge : l’action se déplace sans arrêt, de la maison d’Ubu au Palais de Venceslas, de la place des exécutions à une caverne dans les montagnes, de la plaine polonaise au bateau qui ramène les Ubus de la Baltique à la douce France… Raison essentielle pour poursuivre notre pratique de balade, et s’appuyer sur la topologie de la ville ou du village pour faire rendre aux avatars grotesques du gros bonhomme tout leur jus.
Jusqu’aux arrières-cours
Du côté des formes, on va chercher les rebuts. Ubu est un peu notre refoulé, le monstre innocent qui sommeille au fond de chacun de nous. Pour le vêtir on ira donc chercher les restes, les restes de notre société de consommation… rejets de plastique et de ferraille, tuyaux et cartons, cageots, bouteilles et chambres à air…bref tout ce dont une décharge bien achalandée avant recyclage peut témoigner de notre idéal civilisateur. Avec ça on fabriquera aussi des machines, roulantes et pétaradantes, le croc à phynance, le cheval à phynance ou la machine à décerveler… Déchet sonore également : intégrés aux costumes des transistors à pile qui feront musique d’ambiance en cumulant leurs émissions… nonobstant le saxophone soprano de Michel Doneda, qui donnera aux oreilles des spectateurs les stridences souhaitées.
Ce retraitement très écologique des déchets, nous le voulons haut en couleur pour porter, au grand dam des rentiers, bien au-dessus de sa « gidouille », l’oriflamme du père Ubu.
Extraits de presse
[Flash Hebdo, juin 2002]
« … de l’Ubu de Jarry on retrouve la verve provocatrice, accentuée par la mise en scène alerte de Michel Mathieu qui adopte ses décors loufoques et grandioses à chaque recoin de l’espace… le spectacle bouillonne d’inventions et de surprises. Dans une composition « ubuesque » apparaissent d’étranges machines aux proportions gigantesques: un cheval à Phynances, une machine à décerveler…Des clins d’œil,sur l’actualité du monde redonnent au texte sa fonction de satire sociale, souvent absente, hélas du théâtre de rue aujourd’hui.
Une ambiance amplifiée par le jeu des acteurs et la musique stridente du sax soprano de Michel Doneda.
[Intramuros, juin 2002]
« …Merdre ! Revoilà la grosse gidouille de Père Ubu suivi de sa bouffresque de femelle jamais bien loin. Une urne électorale pour maison, un téléviseur pour décerveler, les signes sont là, discrets d’un « Ubu roi » revisité, interpellant le quidam qui ne fait que passer… Articles de journaux, affiches électorales, costumes démodés, gaines et porte-jarretelles noircis, c’est dans une ambiance décalée de signes caractéristiques d’aujourd’hui mais qui pourraient dater d’hier comme de demain, qu’évoluent les 14 comédiens du groupe.
Intemporel et toujours d’actualité, cet « Ubu à, la rue » sonne comme une invitation à la vigilance.
Paroles de spectateurs
[Serge Pey, poète]
« Michel Mathieu et la troupe du Théâtre2 l’Acte vient de réaliser un chef d’œuvre critique parmi le million de représentations inimaginables d’Ubu.
Invention, mise en scène, histoire du théâtre de rue, stratégie du poème, actualisation contemporaine, guignol, comédie, tragédie, roman policier, film contemporain, grève générale, Ubu frappe partout. Michel Mathieu donne une leçon extraordinaire au théâtre contemporain, de liberté, de philosophie et d’histoire. »
[Michel Didier, ex-expert DRAC, professeur de Lettres]
« …Ton Ubu se déroule somptueusement, comme une épopée dérisoire. Superbe cette déglingue maîtrisée dans les cortèges, la musique déjantée, la force du burlesque, le rire noir que déclenche la tyrannie de pacotille, dont la drôlerie masque à peine le côté terrifiant… »
[Marie Vayssière, metteuse en scène, comédienne]
« …Ce à quoi j’ai assisté était désopilant, iconoclaste, grotesque, désorientant aussi, complètement loufoque et tout simplement vivant. Mais affirmer cela ne dit rien du véritable intérêt de ce travail. La mise en scène de Michel Mathieu laissait cheminer avec le rire, une inquiétude certaine à la hauteur de l’absurdité du monde d’imbéciles qu’il nous offrait de découvrir. Une construction non pas hallucinante, mais celle en labyrinthe d’une secrète monstruosité, une peur qui ne venait pas de l’intrusion subreptice d’un monde surnaturel, mais qui faisait sourdre ici et maintenant notre réel prochain. Et je crois que c’est ça UBU : danser et jouer sans se prendre au sérieux, sur la crête de l’abîme, rire à la face du monstre… »