EXCEDENT DE POIDS, Insignifiant Amorphe

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Création du Théâtre de l’Acte : 
EXCEDENT DE POIDS, insignifiant amorphe
  • Avec :
    Natalie Artois
    Séverine Astel
    Hassan Ayoud Tess
    Andrée Benchétrit
    Pascale Karamazov
    Jean-Yves Michaux
    Nicolas Réveillard
    Quentin Siesling
    Cara Fiedrich
  • Public : adultes
  • Durée : environ 2h15, entracte de 15mn
  • Co-productions : Théâtre Garonne, Théâtre de la Digue
  • EXCEDENT DE POIDS, Insignifiant Amorphe
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Si l’action outre­passe com­plè­te­ment le réa­lisme, par­tant néan­moins d’un lieu tout à fait banal, le bis­trot, la langue suit le même chemin à tel point que l’acte essen­tiel qui sous tend chaque ins­tant de la pièce, pour­rait être l’acte du dire, la traque mala­droite de tous ces per­son­na­ges pour se nommer, se parler. C’est à l’inté­rieur de la langue que Schwab intro­duit la ten­sion dra­ma­ti­que. Il éprouve du reste en intro­duc­tion à cha­cune de ses pièces le besoin de la défi­nir. En exer­gue ici : La langue

Ce qui devrait res­sor­tir en par­ti­cu­lier, c’est le chemin plus ou moins confor­ta­ble que par­court celui qui parle, en s’adres­sant à un objet. Celui qui parle et ce dont il parle se confon­dent alors plus que clai­re­ment et parais­sent grâce à cela « impurs ». La saleté résul­tant de cela appar­tient à elle-même et pro­duit de la clarté, mais pas de com­pré­hen­sion, voilà ce qu’espère l’auteur.

La langue, entre­choc de jar­gons publi­ci­tai­res, bureau­cra­ti­ques ou pseudo-phi­lo­so­phi­ques ( dans le cas de Jürgen – éternel étudiant), mati­née de termes enfan­tins, obs­cè­nes et d’expres­sions jour­na­lis­ti­ques, pro­cède par sauts, contrac­tions de termes, défor­ma­tions hybri­des, inven­tion de mots com­po­sés, redon­dan­ces…

Cette langue est para­doxale parce que, d’un côté, par son boi­te­ment cons­tant elle dénonce le vide dans lequel sur­na­gent les pro­ta­go­nis­tes, et de l’autre, à partir de ses pro­pres défaillan­ces, elle oblige ces mêmes pro­ta­go­nis­tes à réin­ven­ter cahin-caha, une clarté, qui finit par ses trous mêmes, comme par ses dou­bles sens, à en dire davan­tage, et d’une façon peut-être plus inci­sive que ne l’aurait fait « l’expres­sion cor­recte ».

Cette infir­mité « lan­ga­gière », on le sait, est un signe des temps : la langue s’appau­vrit et se fige à la fois dans les jar­gons média­ti­ques. À ce titre on pour­rait tirer argu­ment de son emploi pour ranger son auteur dans la caté­go­rie des nou­veaux réa­lis­tes…On peut trou­ver sans doute dans bien des bis­trots des gens qui tré­bu­chent sur la syn­taxe et le voca­bu­laire… Si ce n’est que chez Schwab la langue est l’objet d’un bri­co­lage, d’un remon­tage inédit, ( casse tête pour les tra­duc­teurs qui à partir de l’alle­mand péné­tré par le patois de Grasz – ont dû réin­ven­ter en fran­çais cette mix­ture dia­bo­li­que). Un remo­de­lage qui finit par res­sus­ci­ter, à tra­vers les méta­pho­res et les détours appa­rents, son étrangeté pre­mière à la pensée. Le réa­lisme est ici trom­peur. Et c’est là sans doute que s ‘ouvre le débat sur l’inter­pré­ta­tion et la mise en scène de Schwab.

Comment monter Schwab ? Apparemment, car nous ne pré­ten­dons pas connaî­tre toutes les mises en scène de ses pièces, la ten­dance géné­rale a été de pré­sen­ter la dra­ma­tur­gie de l’auteur dans un sens réa­liste. Ainsi la com­pa­gnie néer­lan­daise De Trust, dont le met­teur en scène Theu Boernans, s’exprime dans un numéro d’Alternatives Théâtrales consa­cré à Schwab, après avoir sou­li­gné le rat­ta­che­ment de l’auteur à la tra­di­tion du théâ­tre popu­laire autri­chien :

« Chez Schwab, il faut des per­son­na­ges véri­di­ques. On doit s’iden­ti­fier à eux, il faut les jouer avec beau­coup de nuan­ces. », et plus loin : « Le pire qu’on puisse faire avec des auteurs comme Schwab est de leur couper les ailes en ren­dant leur écriture esthé­ti­que, en fai­sant du « design ». son théâ­tre veut sortir du théâ­tre, sortir de la langue, se frayer un chemin pour entrer dans le réel. »

Les créa­tions de Michel Dezoteux appa­rem­ment ten­daient dans le même sens. Quant à Schwab lui-même, met­teur en scène de ses œuvres, d’après F.M. Einheit com­po­si­teur du groupe « Die Einstürzende Neubauten », il diri­geait ses comé­diens un peu comme dans une pièce de bou­le­vard – il consi­dé­rait du reste son théâ­tre comme essen­tiel­le­ment drôle – ce qui ne l’a pas empê­ché d’intro­duire dans « Pornogèographies » une partie musi­cale concrète non illus­tra­tive, avec mar­teau-piqueur et bris de bri­ques….

Il nous semble que remet­tre la parole au centre ne signi­fie pas – bien au contraire – reve­nir au natu­ra­lisme. On peut être tenté par le réa­lisme des per­son­na­ges en pariant sur la dis­tor­sion qu’il y aura et entre un théâ­tre repré­sen­ta­tif et une parole recons­truite – hors norme, mais cet effet doit s’épuiser assez vite. Nous pen­sons que Schwab appar­tient à un renou­veau de l’expres­sion­nisme alle­mand, et qu’à ce titre l’excès de la langue doit conta­mi­ner le reste ; non pour aller vers le « design », on est dans un uni­vers sale et chao­ti­que, mais dans un choc où l’effort de parole est porté par une alchi­mie géné­rale, mou­ve­ment, sons, cou­leurs qui déborde lar­ge­ment le cadre ini­tial de l’anec­dote. Un geste comme celui de Bacon qui tire la figure, l’écartèle ou la rabat sur elle-même…

Il y a « cène », il y a rituel, si ce théâ­tre est gro­tes­que, il l’est à la manière de Jarry…Partant d’une situa­tion réa­liste nous vou­lons créer le socle du lan­gage hors du cadre étroit du réa­lisme, faire sentir dans la cor­po­ra­lité, le mou­ve­ment interne qui fait accou­cher les mots, et ainsi trans­cen­der la psy­cho­lo­gie pour arri­ver à une sorte de phy­si­que élémentaire.

C’est pour­quoi nous avons songé à uti­li­ser le masque ou plutôt des têtes de carton, mou­lées sur le visage des acteurs, démon­ta­bles par éléments. Au pre­mier acte, les mons­tres sont les habi­tués, ce sont ceux qui por­te­ront les têtes.

Au second acte, après le meur­tre et la dévo­ra­tion, les per­son­na­ges du bis­trot sont têtes nues, au troi­sième acte ce serait le couple élégant qui aurait des têtes de carton.

Le tra­vail devrait véri­fier cette hypo­thèse …un chemin qui en tous cas devrait nous dis­po­ser à enten­dre dans son étrangeté la langue de Schwab .

Quant aux éléments du décor, ils seraient trai­tés comme Schwab traite la langue. Un assem­blage à la Kurt Schwitters. Mais on évitera la sur­charge ; les objets ne seront là que comme signes indis­pen­sa­bles, pour per­met­tre au regard de se concen­trer sur l’essen­tiel : la pro­fé­ra­tion de l’œuvre.

La dif­fi­culté est évidemment de se tenir dans une posi­tion qui tout en por­tant la cène à son niveau le plus puis­sant, à la fois sym­bo­li­que et exis­ten­tiel, ne se coupe pas de ses « bases chau­des » et vis­cé­ra­les. C’est là tout le pari. Bacon l’a réussi en pein­ture, Schwab dans sa langue, c’est le défi de la mise en scène, c’est le défi de l’inter­pré­ta­tion, là com­mence et finit le tra­vail.

La pièce est un éclat de rire, d’un rire noir à la Swift ou plus près de nous à la Kubrick – celui « d’orange méca­ni­que » – mais elle est sur­tout, depuis l’entrée – et la sortie – du parti d’Haider dans le gou­ver­ne­ment d’Autriche, et la pré­sence de Le Pen au second tour des pré­si­den­tiel­les fran­çai­ses, une sorte d’apo­lo­gue sur ce qu’il est convenu d’appe­ler les gens d’en bas, là où l’extrême droite trouve son électorat, du moins sa frange « popu­laire »… C’est une sorte de fas­cisme à l’état pul­sion­nel qui se mani­feste ici dans la volonté de des­truc­tion du groupe, envers l’image de la réus­site (jeu­nesse, beauté, luxe), des­truc­tion comme une sorte d’assi­mi­la­tion impuis­sante. Cette ten­dance est le plus clai­re­ment mani­fes­tée par le per­son­nage de Porcelet – fer­vent défen­seur du pain et de la tra­di­tion, et pédo­phile de sur­croît …mais elle ne se limite pas à lui, puis­que le groupe ras­sem­ble tout un panel de figu­res et de posi­tions autour de la patronne du bar : prolo macho, étudiant huma­niste, pro­fes­seur, femme au foyer.

Il y a cène, repas. Schwab a l’intui­tion de résou­dre autour d’une table ce qui jus­te­ment cons­ti­tue le deuil d’une popu­la­tion tentée par l’extrême droite : la com­mu­nauté. La pul­vé­ri­sa­tion de la com­mu­nauté semble une des causes fon­da­men­ta­les de toutes les cris­pa­tions iden­ti­tai­res et xéno­pho­bes…Et qu’est-ce qui cons­ti­tue le plus direc­te­ment, char­nel­le­ment la com­mu­nauté, sinon le repas, la table ? Ainsi ce groupe d’habi­tués du bis­trot réins­taure rituel­le­ment le lieu élémentaire de sa cons­ti­tu­tion, qui trans­cende en les reliant chacun des indi­vi­dus : un repas, qui est aussi un meur­tre. Au cours de ce festin trans­gres­sif, ce que nous nom­me­rons en extra­po­lant, la masse, va consom­mer au sens propre les modè­les que lui com­pose cette même société de consom­ma­tion, accom­plis­sant dans le même mou­ve­ment sa régres­sion, dans la bar­ba­rie la plus totale. On pour­rait se croire dans une mise en œuvre poé­ti­que des théo­ries de René Girard sur l’ori­gine du sacré, si le regard de Schwab n’était avant tout sati­ri­que et bouf­fon.

Y aurait-il là une dia­tribe élitiste contre la démo­cra­tie ? Certes l’auteur se livre à une cri­ti­que acerbe de la masse comme rou­leau com­pres­seur de l’indi­vidu, l’enton­noir vers un déno­mi­na­teur commun, la bes­tia­lité …Sauf que ceux du dessus du panier sont encore plus vio­lents par leur assu­rance de pri­vi­lé­giés ; L’huma­nité même déré­glée est du côté des can­ni­ba­les, et après le festin les convi­ves retrou­vent leurs pro­pres indi­vi­dua­li­tés, la masse ainsi se délite.

L’occa­sion est donnée par Herta, la seule qui n’a pas par­ti­cipé au mas­sa­cre et qui se pose en Sainte Vierge – parce que « on m’a tel­le­ment fécondée jusqu’au bout que je n’appar­tiens à per­sonne… » et qui invite chacun à un rite puri­fi­ca­teur en lui léchant les pieds.

Écrite en 1992, avant les grands succès électoraux des droi­tes radi­ca­les et de l’extrême droite en Europe, cette pièce est une alerte sar­cas­ti­que – mais non sans ten­dresse pour ceux qui en sont les vic­ti­mes – sur l’impasse d’une société où « l’idéal consom­ma­teur »est le seul hori­zon qui reste. La pédo­phi­lie de Porcelet est là aussi révé­la­trice et pré­mo­ni­toire d’une ten­dance sou­ter­raine du corps social en perte d’un projet le tirant au-dessus de lui, réduit dès alors à dévo­rer sa propre image. On se rabat ainsi sur les nos­tal­gies de sa propre enfance. L’assomp­tion de l’enfant – dans sa bulle sur­pro­té­gée – comme son escla­vage dans son usage sexuel, ne sont que les deux faces d’un même moment socié­tal où, signe des plus révé­la­teurs, le par­ri­cide comme crime majeur a cédé la place à l’infan­ti­cide…C’est parce que, en notre fort inté­rieur, nous déses­pé­rons des adul­tes que nous sommes, que nous sanc­ti­fions l’enfant et en fai­sons tour à tour une icône et une vic­time.

En exer­gue de sa pièce, ou en guise de sous-titre Werner Schwab pose ces deux mots : une cène euro­péenne… Cène il y a puis­que comme dans l’épisode de l’évangile se consomme un sacri­fice, mais ici il n’y a pas de sau­veur qui s’offre à l’huma­nité, il y a une huma­nité, à tous égards estro­piée et réduite au res­sas­se­ment de sa survie, qui, dans un mélange de haine et de désir pour un jeune couple élégant- icône moderne de toutes les séduc­tions- finit par l’étriper et le dévo­rer.

Cène donc mais inver­sée, euro­péenne parce qu’emblé­ma­ti­que, elle pré­tend déli­vrer comme une ana­to­mie de l’état actuel de la santé conti­nen­tale, déla­bre­ment des rap­ports humains, nau­frage de la pensée réduite à des bal­bu­tie­ments de lieux com­muns jusque dans la syn­taxe ou le voca­bu­laire… la parole même tré­bu­che.

Le sens de la fable serait simple si on s’arrê­tait là, mais un troi­sième acte nous ramène en arrière avant le mas­sa­cre et donne un tout autre éclairage à l’action, le couple idéal révèle ici son vrai visage et la dis­tinc­tion appa­rente du pre­mier acte entre le groupe et lui s’estompe. On entend alors leur entre­tien – jusque-là leur pré­sence avait été muette – qui affi­che une supé­rio­rité clin­quante de nou­veau riche, une vul­ga­rité qui ne doute, sans l’ombre de la moin­dre culpa­bi­lité. À l’inverse les can­ni­ba­les du pre­mier acte nous appa­rais­sent alors comme les vrais per­dants…. Opprimés de tou­jours… ils n’auront jamais dévoré que leurs fan­tas­mes, et l’esto­mac plein res­te­ront à jamais avec leur faim inas­sou­vie.

Cette cons­truc­tion en chiasme est comme une fable qu’on peut lire dans les deux sens. Elle ne peut se résou­dre en un seul mes­sage.